Mai 1745. Tournai, alors garnison hollandaise, est assiégée par l’armée de France, en campagne pour conquérir les Pays-Bas autrichiens.
Le Roi Louis XV veut se poser en chef de guerre et fait le déplacement, au grand dam de ses généraux (1). La cour prend ses quartiers au Château de Curgies, à Calonne, à quelques kilomètres au Sud de Tournai.
L’armée alliée, composée de troupes britanniques, néerlandaises, autrichiennes et hannovriennes, envoie en direction de Tournai un renfort de 51.000 hommes.
Les Français ont anticipé l’arrivée de l’ennemi en dressant cinq redoutes (2) sur son chemin, autour du village de Fontenoy. Un affrontement en rase campagne se prépare.

La Bataille de Fontenoy, par Pierre Lenfant (1747)
Les hostilités commencent le 11 mai à 5 heures du matin. Les attaques alliées sont d’abord repoussées par le feu meurtrier des canons, jusqu’à ce que les Anglais, qui se sont audacieusement engagés dans la seule brèche du système défensif adverse, se retrouvent nez-à-nez avec les Gardes Françaises. S’ensuit un épisode célèbre, relaté par Voltaire (3).
Lord Charles Hay, commandant écossais du 1st Regiment of Foot Guards, sort du rang et trinque à la santé de l’ennemi, souhaitant que cette fois-ci, il ne s’enfuisse plus de l’autre côté de l’Escaut (4).
En face, le comte d’Anterroches prend cette provocation pour une invitation à tirer, qu’il décline : « Messieurs les Anglais, tirez les premiers ! »

La Bataille de Fontenoy, par M.Grobet (1902)
L’échange chevaleresque débouche sur un feu confus, mais c’est la vague anglaise, en supériorité numérique, qui prend le dessus. Cette progression sème le trouble côté français. À un moment, on songe à évacuer Louis et son fils unique le Dauphin, qui s’étaient avancés jusqu’au moulin de Notre-Dame-au-Bois (5) pour assister aux premières loges à la bataille.
Il faudra le concours de la Maison Royale, les unités d’élite dédiées à la protection du Roi, et le sang frais des régiments des Vaisseaux-Royaux, de Normandie et de la brigade irlandaise (6) pour sonner, en début d’après-midi, le repli des Anglais vers Vezon.
Les combats laissent 15.000 hommes, morts ou blessés, sur la plaine de Fontenoy. Au soir de la bataille, Louis déclare à son fils qui se réjouissait de la victoire : « Le sang de nos ennemis est toujours le sang des hommes. La vraie gloire est de l’épargner. »
Et pourtant … Dans la chanson « Les Tournaisiens sont là », Adolphe Delmée évoque un temps où « les rois, heomm’s de tiête, F’seottent tuer nos pèr’s pour des brins d’tchiens. » (7) Fontenoy et les sept années de guerre pour la Succession d’Autriche en sont la parfaite illustration. En 1748, le traité d’Aix-la-Chapelle annule la quasi-totalité des conquêtes territoriales de part et d’autres.
Aujourd’hui, lorsqu’il m’arrive de m’entraîner sur ce qui fut le champ de bataille, je me prends à rêver d’une course mémorielle qui rassemblerait des coureurs belges, irlandais, normands ou suisses (engagés dans les deux camps), au son des tambours et cornemuses.

La plaine de Fontenoy, aujourd’hui
Cette fois-ci le vainqueur serait peut-être anglais, qu’importe. À l’arrivée, tous partageraient la bière brassée pour l’occasion, célébrant ainsi la réconciliation européenne.
La paix est une construction récente à l’échelle de l’Histoire, et fragile à la lumière de l’actualité. Ne l’oublions pas. Pour que nos ancêtres ne soient pas tout à fait morts pour rien.
Jonathan Quique ©RUNNINGGEEK.BE 2019
P.S. Ce n’est qu’un projet, presque une utopie. Il faudrait des bras et sans doute un mécène pour le concrétiser. J’invite celui qui serait assez fou pour me suivre à cliquer sur le bouton contact.
1. Louis XV sur le front de la guerre de succession d’Autriche (Chroniques chartistes).
2. Une redoute est une fortification défensive garnie de pièces d’artillerie.
3. Poème de Fontenoy (monsieurdevoltaire.com).
4. Évocation de la bataille de Dettingen, où les Français se replièrent de l’autre côté du Main. C’est la version contée par Lord Hay lui-même (Wikipédia).
5. Un carrière a aujourd’hui été creusée à l’emplacement du hameau, où se trouvaient aussi un couvent et une chapelle.
6. Ces soldats catholiques d’Irlande venus combattre pour la France nourrissaient une rancœur tenace contre l’Angleterre, qui avait bafoué le traité de Limerick, garant de leur liberté religieuse. Près de 300 ans plus tard, Fontenoy a sa rue des Irlandais et sa croix celtique illuminée de vert le jour de la Saint-Patrick. Dublin a sa rue de Fontenoy, James Joyce y vécut, et son club de sports gaéliques, le Clanna Gael Fontenoy.
7. Littéralement : « faisaient tuer nos pères pour des crottes de chien », pour rien.