À la fin du mois de septembre, ces quatre potes s’attaquaient aux « 24 heures en course libre » de Mouscron, quarantième édition. Le récit de Renaud et Kévin.
Renaud : Mon retour aux 24 heures en course libre de Mouscron s’est finalement concrétisé. Une vague idée du défi qui m’attend, mais dans quelle galère me suis-je encore une fois embarqué. Cet évènement ne m’est pas inconnu. On rembobine de treize années.

Souvenir – photo : @flaebens_run (sur Instagram)
Du haut de mes dix-huit ans, j’en ai le vertige. Le gaillard affichait déjà le mètre quatre-vingt-huit dos au mur. Les pantalons pattes d’eph. Les paires de lunettes rondes et colorées. Les longs cheveux. Je déconne. Presque fraichement émoulu de la rétho. Neuf mois d’école, ce n’est rien. On s’inscrivait sous le nom « Les chauv’ qui peut ». Aucun entrainement spécifique et aucune expérience dans cette exigeante discipline sportive. Désormais, j’ai conscience de ce que j’écris. À l’époque, « Courir, c’est bidon ». Cumulé d’expérience, le bidon est utile quand il est rempli de flotte. Tu apprendras ça petit. Sans doute la nonchalance d’un jeune enchainant scrupuleusement les frites sauce samouraï.
Quoi qu’il en soit, nous n’avions pas été ridicules. Loin de là. Certainement la chance du débutant, qui m’avait frappé de plein fouet au bowling avec mes cent soixante-cinq points. La lutte s’engageait bizarrement contre une équipe qui ne concourrait pas dans notre catégorie d’âge. Junior. Je me rappelle encore de leur nom. Top Tonic. Au final, nous avions enchainé 48 tours et quelques portions de bitume. Lauréats. Coupe, médailles, bouquet de fleurs et tronches de cake dans le journal. La totale. « Ils sont vraiment … Ils sont vraiment … »
Tout a changé. Ma gif, inanimée, est restée intacte. Je fignole artistiquement ma barbe, mais à part ça. L’agencement et l’agrandissement du complexe. La supériorité n’est que numérale. Le tracé du circuit. Ce dernier s’est allégé d’un kilomètre. Acclamation fanfaronesque de mes pieds. Trois, virgule un. Si j’avais su que c’était une estimation de génie de la nocturne température, je serais resté à m’baraque. Quelqu’un a évoqué les frites ? L’apparition de la Sixteam. La procédure de comptabilisation. Dans la colonne des passifs, 48 tours. Dans celle des actifs, on verra plus tard. Échéance vingt-quatre heures fin de mois. Seuls les tours complétés sont tenus en compte. Qui tient la caisse ? Le savon m’a terriblement manqué. Auparavant, si le tour n’était pas bouclé d’une ceinture abdominale et qu’on atteignait à quatre pattes un check-point, les mètres corbeaux étaient ajoutés. Pourquoi ai-je zappé les petits fromages et le sel de céleri dans ma glacière ? Si mes souvenirs sont bons, l’un était aménagé place Fosses Saffre et le second était posté rue du Mont Gallois. La crasse montée, col de chemise souhaité, a été déplacée, mais elle est toujours là. Hein. Ce sont des sadiques. Rue de l’Espérance. Tout ce qu’on espère est d’arriver entier en haut. Le positionnement du seul check-point. Aux premières loges dans un fourgon à attendre que tu t’exprimes maladroitement de ton numéro de dossard. T’avales ta salive. Ton rythme cardiaque se calme. Une grande bouffée d’air et … Cent trente-quatre. La descente s’entame.
Vendredi vingt-huit septembre. Quinze heures à dix-huit heures trente. Le créneau de l’établissement des tentes. Il était aussi permis le samedi matin, mais la flemme. Je travaille jusque dix-sept heures. Ma commande de pâtes m’attendait à dix-sept heures trente. Comment je t’ai esquivé l’affaire… Merci Kévin. Une nuit à inscrire au Guinness des records. Vingt et une heures à sept heures trente sans interruption.
Samedi vingt-neuf septembre. J’assemble mon paquetage en trois, quatre, sept. Le team building est convenu à midi. Retrait du bracelet. Je l’ai gardé. Il n’est pas mal. Mes aises à notre campement. Merci Kévin. L’heure du départ est rapidement atteinte. L’épreuve se déroule de quatorze heures à quatorze heures. C’est juste après le treize. Serait-ce un signe ? Nous avions convenu d’une tactique, tenue secrète entre quatre murs six pieds sous terre armature blindée combinaison indéchiffrable. Des relais d’une heure. Six pour ma pomme. Vingt-quatre divisé en quatre, six. C’est bon. Une pressentie entourloupe. J’ai imposé le deuxième relais. Évitons le comité et toutes les administratives charges. Quinze à seize. Dix-neuf à vingt. Vingt-trois à minuit. Trois à quatre. Sept à huit. Un petit coup de main Harry Roselmack ? Onze à midi. Mon rôle. Le second, mais au moins je joue. Quatre tours à l’heure. Douze, virgule quatre cents kilomètres en gros. Le premier. Easy. On est tous chauds patate. Quoique … J’y ai laissé des indispensables forces. Rattraper trois minutes prises de mon heure, ce n’est pas recommandé. Quatre minutes trente-neuf de moyenne. Et d’un. Le deuxième. Le luxe de profiter pleinement de mon horaire. Quatre minutes cinquante de moyenne. Et de deux. Les ensoleillées lueurs disparaissent et je saisis directement. Ce ne sera pas un filet pur. Malheureusement.
Abracadabra. Tout est gelé. Bear Grylls et Ed Stafford se retournent dans leurs forêts. Novice dans les méthodes de survie, isoler du sol ses affaires n’est pas une mauvaise entreprise. Un collant double épaisseur concurrence l’inexistence du papier WC. Ce sont des toilettes sèches sur place. Ma première expérience de ces lieux. Ce n’est pas si terrible. Une nouvelle paire de hautes chaussettes assorties à un maillot propre. Du Royal Excel Mouscron. Bien sûr. Nous sommes à domicile. Tant que les gambettes déroulent mieux que le scénario de la pelouse du Canonnier. Un t-shirt de compression de la couleur de ma vareuse. Il est coquet le Renaud. Le troisième, dans l’escarcelle. Quatre à la suite. Merci Julien Lepers. Euh … Samuel Etienne.
Dimanche trente septembre. L’ambiance est glaciale. Un pauvre degré au thermo. Café quoi cette nuit ? La Croix-Rouge, the place to be. Le local est chauffé. Avant chaque passage de témoin, mes mollets y sont massés. Mon corps absorbe de la mentale chaleur. Trente-sept kilomètres et deux cents mètres d’avalés. Voici venu le temps des rires et des champs … It’s not a joke. Le quatrième. Le plus laborieux des six. Mon coéquipier s’arrête après deux tours. Heureusement que je suis ponctuel. Je finalise mon étirement des cuisses sur les barrières de sécurité. Je démarre plus lentement. Un vivier temps plus conséquent. J’égraine intelligemment ces précieuses minutes et j’épingle à nouveau quatre tours. Appelez-moi Chuck Nourrice. Cinq minutes de moyenne. La ceinture-dossard bascule à mon partenaire et speedy Gonzales jusqu’au bivouac. Je retire mes vêtements. Un soin tout particulier est porté à mes pieds après chaque course. J’essuie avec insistance et j’applique partout de l’huile de jojoba. J’enfile une paire de chaussettes d’intérieur et on saute dans le compartiment « chambre ». N’ayant pas de matelas, la Croix-Rouge m’a remis une couverture isolante. Étalée sur le sol de la tente, ma couette était disposée au-dessus. On s’emmitoufle. C’est le moment relaxation. On essaie au mieux. Dormir, aux oubliettes. C’est mission impossible. Je répète machinalement les mêmes actions avant et après un run. La routine use physiquement, mais c’est primordial. Nous avons un objectif. Que notre participation soit propre et réponde sportivement aux attentes de chacun. Le cinquième. Ces trois heures de repos filent à une vitesse. Sincèrement, on ne les voit pas passer. Y’a que cinq minutes que je suis revenu. Ce n’est pas possible. Ne pourrais-je pas poser un jour ? Je reviens demain. Motive-toi. À huit heures trente, le petit-déjeuner arrive royalement. Trois tours. Cinq minutes trente de moyenne. Je me suis inscrit à un nouveau cours en alternance. Course et marche rapide. Ça soulage moralement et physiquement. Différents points visuels sont pointés sur le chemin. À tel endroit, je marche. À tel endroit, je cours. Je galope à une bonne allure afin de rattraper Indiana Jones et le temps perdu. Je m’y tiens fermement et l’air de rien, on avance tout aussi vite en procédant de la sorte. Le soleil illumine la plaine. Alléluia mes frères. Comment j’ai trop envie de te taper une danse… Je cherche après Chantal. Je l’attends à l’entrée du site, mais elle est à l’entrée du camping. Je remercie ma lueur d’esprit à ce moment-là d’être revenu sur mes pas. J’ai failli attendre, aurait pu dire Sonic le hérisson. Six petits pains au chocolat et deux croissants croisent notre route. Je dépose le paquet de petits pains et j’engloutis l’autre sachet. Combien reste-t-il de croissants ? Vous avez deux heures. Je cours à onze heures. Je suis dans l’impossibilité de vous octroyer plus de réflexion. Le sixième. Mon pote. Toi, je t’aime bien. Je t’attendais depuis longtemps. Trois tours. Cinq minutes de moyenne. Sapristi. C’est fini. Dire que c’était mon dernier tour. Les degrés ont repris des couleurs. Il fait bon. Passage à la serviette de bain. Je revêts un t-shirt précieusement conservé. L’odeur du propre est à tomber par terre. Je sors le haut à manches longues floqué de mon prénom au-devant et du nom de notre équipe dans le dos. MouscRUNnois. Le bouquet final. Je troque mes chaussettes et chaussures de running contre des propres chaussettes et mes baskets de ville. L’extase. L’expression sur mon visage est comparable à un mec qui s’est longuement retenu et se soulage. Les troisième et quatrième relayeurs ont encore du pain sur la planche, mais j’en ai terminé. Force morale aux compagnons. Je parade, soulagé, sous le soleil des tropiques. Check Gilbert.
Quinze heures. Les proclamations ont lieu sous le grand chapiteau. Ma petite sœur et son copain sont venus sur place. Un hymne symphonique de la Palestine est joué. L’air est entrainant. Avant le commencement de la cérémonie, on nous avait remis des feuilles reprenant les paroles. On est invités à chanter. La chorale était placée derrière les instruments de musique et on n’entendait rien. Sans le bon rythme et des personnes à suivre, c’était peine perdue. Tant pis. On profite joyeusement du son. Tous les ans, les 24 heures en course libre de Mouscron parrainent une action dans le monde. Lors de cette 40ème édition, les fonds récoltés permettront d’acheter tous les instruments nécessaires à la formation d’une chorale en Palestine. Le speaker annonce les résultats. « Que serait une date d’anniversaire sans un record ». Il datait de 2014 avec 80 tours. Mon équipe est appelée à rejoindre le podium.
- 81 tours
- 251,100 kilomètres
- 2èmes / 175 équipes au général
- Champion en Senior masculin
- Recordmans de la catégorie

Sur le podium – photo : @flaebens_run (sur Instagram)
Kevin : On se décide entre amis lors d’une festivité de Mouscron, « et pourquoi pas s’inscrire aux 24h » ? Gagner et le record ce serait le bonus, tout de suite tout le monde est motivé par cet objectif, malgré ça une petite préparation pour ces 24h, quelques sorties matin et soir, mais on oublie pas de participer à l’ACRHO.
La veille de la course, je vais monter la tente au camping, il nous faut une heure pour la monter, on voit les autres participants pendant ce temps et je regarde mon ami et je dis « punaise, je suis chaud patate, je le sens bien ce week-end ».
Le jour de la course. Un stress énorme. J’arrive dans le camping et je regarde l’heure et je me dis « hé merde je cours dans une heure ». La pression monte encore d’un cran. Voilà le départ les sensations sont bonnes, les quatre tours de 3km100 sont parcourus en une heure pile, je décide d’aller faire un petit tour et voir les copains faire leur relais. 18 heures, une chaleur de bête, je sors mon plus beau marcel et encore 4 tours en 1h. Il est maintenant 19 heures, il est temps d’aller se reposer, mais impossible de dormir avec ce vacarme au chapiteau. Je prend mon relai à 22 heures et je fais trois tours, les sensations sont toujours bonnes, la motivation est là, on est premiers avec deux tours d’avance, on gère. 23 heures je file au lit, j’arrive à dormir une heure et quelle surprise en me levant ,tous les vêtements sont humides, c’est la nuit, il gèle, je gèle … Heureusement j’ai tout prévu, j’ai d’autres vêtements d’hiver dans les bagages, hop j’enfile le les collants, je file sur le bitume et je fais encore trois tours en 50 minutes. Je file à la Croix Rouge pour recevoir quelques soins pour passer la nuit tranquille, je me plains du froid et reçois une couverture chauffante, quel bonheur. 3h30, je file au lit et je dors deux bonnes heures. Je me les gèle toujours dans cette tente. Six heures, cinquième relais … Les jambes sont déjà pleines de crampes avant de démarrer mais la tête prend le dessus, je pense à la coupe, à la médaille, à la fierté et aux copains et ça va mieux. Je fais deux tours en 35 minutes puis je préfère aller me reposer pour gérer mon dernier relais. Je file au lit et je dors jusqu’à 9h30, il fait enfin bon quand je me lève. Je fais mes 3 tours et on voit que le record est toujours possible, je ne tiens plus en place malgré les crampes et la douleur dans les jambes, et les potes font le job, on finit premiers de la catégorie, record battu, place au podium c’est d’ailleurs impressionnant de voir une centaine de personnes devant toi t’applaudir, mais quelle joie et bonheur de partager ça, merci à mes potes et aux supporters présents pour ce moment que j’oublierai jamais.
Renaud Vermeulen et Kévin Christiaens ©RUNNINGGEEK.BE 2018