Aujourd’hui, je vais vous raconter comment j’ai gagné, à la force de mes mollets, la bouteille de vin posée sur la table de Noël. Je l’ai ramenée du Marathon du Médoc, réputé le marathon « le plus long du monde ». Récit.
Ce n’est pas la distance qui fait la particularité du Marathon des Châteaux du Médoc. Il mesure précisément 42,195 kilomètres, comme tous les marathons du monde. Si la course est si longue (temps médian : 06h08m34s), c’est plutôt parce qu’elle traverse le vignoble médocain et permet aux coureurs de pousser les portes d’une vingtaine de prestigieux châteaux. Tous proposent leurs vins à la dégustation. Oui, vous lisez bien, des grands crus de Bordeaux au ravito. Et ce n’est pas tout : huîtres, entrecôte, fromage, maïs grillé et glaces s’invitent sur les derniers ravitaillements. Pour achever le tableau, le Médoc se court déguisé (c’est même inscrit au règlement) et les coureurs rivalisent d’inventivité pour se conformer au thème de l’année.
Un dossard pour le Médoc ?
Beauté du parcours, prestige des propriétés traversées, caractères insolite, en un peu plus de trente éditions, le Médoc est devenu le deuxième marathon de France en terme de participants, juste derrière Paris. C’est aussi une épreuve de plus en plus prisée par les coureurs internationaux, qu’ils viennent d’Asie, des États-Unis ou encore de Scandinavie.
C’est dire s’il faut être « au taquet » quand s’ouvrent les inscriptions, au mois de mars. En 2017, les 8.500 dossards disponibles ont trouvé preneur en 24 heures à peine. Pas d’astuce ni de filon à vous dévoiler, c’est premier arrivé, premier servi. J’ai eu cette année la chance d’intégrer un groupe de coureurs motivés (nom d’équipe : les « Superwallons ») qui se sont, dès le début du mois de mars, connectés tous les jours à l’adresse inscription.marathondumedoc.com pour ne pas manquer l’ouverture de la vente.
Colloque Médico-Sportif du Médoc
Je rejoins la région de Bordeaux en voiture avec mon ami « Bourgui », sapeur-pompier ambulancier de son état. Nous y sommes accueillis par Charles Parmentier, jeune médecin namurois venu se spécialiser dans la chirurgie des ligaments du genou à la Clinique du sport de Mérignac, l’établissement français de référence. Juan et Jean-Elie, nos deux autres compagnons d’aventure, tout juste atterris de Charleroi, sont également médecins. Vu la composition de l’équipe, c’est fort naturellement que nous entamons le séjour par le congrès de médecine sportive, organisé la veille du marathon.
Sport et alcool : je vous dois toujours un article sur le sujet, mais, intuitivement ce n’est pas la plus saine des associations. Pourtant, la dimension santé est très présente au Médoc. French paradox ? Plutôt un certain sens de la responsabilité de la part des organisateurs (quatre des six fondateurs sont médecins) d’un marathon qu’on aurait tendance à prendre à la légère. Au cours des éditions, l’organisation a en outre permis la conduite de nombreuses études médicales sur les marathoniens.
Histoires de cœur
Le Docteur Jean-Michel Chevalier nous livre le résultat des études cardiologiques et répond à la question « dangereux pour le cœur, le marathon ? » La réponse, en bref : non, sauf cas particuliers. Lire également à ce sujet notre article « Trop courir est-il mauvais pour la santé ? »
Plusieurs centaines d’échographies cardiaques ont été réalisées au fil des éditions et des dizaines de marathons courus avec un holter (électrocardiographe portable). Vingt pour-cent des marathoniens présentent une hypertrophie auriculaire typique des coureurs d’endurance, mais sans trouble du rythme ni de signe de souffrance cardiaque associés. Sauf exceptions, des coureurs épuisés, déshydratés à l’arrivée, ou atteints d’une pathologie pré-existante, comme ce marathonien porteur d’une prothèse de valve aortique.
Et de rappeler quelques règles d’or : ne s’attaquer au marathon qu’au terme d’un entraînement régulier, en veillant à bien s’alimenter et à s’hydrater durant la course, ne pas fumer entre une heure avant et deux heures après le marathon, proscrire toute substance dopante, observer une semaine de récupération en cas d’épisode fiévreux et ne jamais courir en cas de fièvre, …
Marathon et Hypnose
L’orateur suivant est l’anesthésiste Patrick Avarguès, collègue de Charles et organisateur du congrès. L’hypnose est le sujet de son intervention. Vidéo à l’appui, il nous montre comment le coureur atteint spontanément cet état naturel de bien-être : le cerveau, qui a beaucoup à gérer avec la vision, la coordination des mouvements et la respiration, met en veille certaines fonctions. L’hypnose est un état de conscience modifiée dont les bénéfices sont multiples durant la course : extinction des pensées négatives ou limitantes, distorsion du temps, et même analgésie. Patrick Avarguès conclut par ce conseil pour la route : « écoutez bien la petite voix, elle sait ce qui est bon pour vous. » Alors, amie ou alliée la petite voix ? Pour progresser et battre ses records, il faut parfois tutoyer ses limites …
Off the record, l’anesthésiste-réanimateur clarifie sa pensée et nous livre quelques souvenirs de la tente médicale. Par exemple l’histoire de ces coureuses déguisées en schtroumpfettes. Une édition courue en pleine chaleur, la peinture bleue qui bloque la transpiration, et c’est l’hyperthermie maligne à l’arrivée. Ou cet autre coureur évacué en hélicoptère vers Bordeaux après avoir poussé un char durant les 42 kilomètres, seul. Celui-là n’a certainement pas écouté la petite voix, en effet. Marathon folklorique, mais marathon quand même.
Plan de course
De retour à Blanquefort, dans la villa qui nous sert de Q.G., Charles s’improvise commandant des opérations. Carte du parcours déployée sur la table de la salle à manger entre un bouteille de malto et une autre de merlot, il établit la stratégie pour la course du lendemain. Pas de départ groupé, chacun à son rythme pour ne pas s’user dans un faux-train. Vingtième kilomètre, on s’attend au Château Grand Puy Lacoste pour tout de même partager un verre de vin. Puis on se serre la main, et chacun sa course ! Tactique entérinée.
Pour ma part, le marathon du Médoc tombe trois semaines après la reprise. J’ai à peine couru 100 kilomètres en guise de préparation. Quinze kilomètres pour la sortie la plus longue. Et mon genou gauche qui fait mal et se grippe dès que je le sollicite un peu trop. La seule stratégie raisonnable semble donc l’abandon à la mi-course. Le parcours forme un 8 dont le nœud, le point le plus proche du départ, est situé au vingtième kilomètre. Un verre de Lacoste-Borie avec les amis et retour à Pauillac.
Jour J
En route vers le sas de départ, nous observons le ballet des coureurs costumés. Les John Lennon période Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band, Freddy Mercury, David Bowie et autres Gene Simmons (Kiss) défilent ; le thème de la 33e édition est « la musique en 33 tours. » Je me dis que Lemmy Kilmister aurait fait un excellent modèle pour notre équipe.
L’organisation a sorti le grand jeu. Un groupe de rock joue sur une plateforme suspendue dix mètres au-dessus des quais de Pauillac. Les Alpha Jets de la patrouille de France survolent le peloton enthousiaste.
Boum, c’est parti. Enfin, pour ceux qui sont devant. Pas de vagues de départ au Médoc, les huit mille coureurs sont parqués dans le même box. Nous mettons dix bonnes minutes pour franchir la ligne de départ.
Hall of Fame
Premier défi : se faufiler dans la foule bigarrée où se mêlent Elvis, Michel Polnareff et Anni-Frid – Björn – Benny – Agnetha (ABBA). Pas évident de trouver son allure. Les rues sont étroites, ça bouchonne dès le premier ravitaillement, à La Rose Pauillac. Aussi, malgré la consigne de départ (chacun à son rythme), les autres ne sont jamais bien loin et nous courons pratiquement groupés.
Le peloton s’étire enfin à la sortie de Saint-Julien-Beychevelle. Les grands noms se succèdent : Léoville Poyferré, Léoville Las Cases, Langoa et Léoville Barton. Châteaux, pelouses et vignes impeccables. Peu sensibles au décor, des coureurs qui ont certainement profité des deux premières dégustations se vident la vessie sur le bord de la route.
Route des vins
Gruaud-Larose, Lagrange, Belgrave, les belles références continuent de s’enchaîner. À chaque fois, ravitaillement et animation musicale. Il fait beau, je n’ai pas mal au genou, l’allure est confortable et je regrette déjà de devoir quitter l’aventure dans quelques kilomètres.
Le tronçon sur la route départementale D206, entre les kilomètres 15 et 20, est le plus roulant. J’ai perdu de vue Charles et Bourgui, qui ont haussé le tempo. Juan et Jean-Elie sont un peu plus loin derrière. Il sera bientôt temps de s’arrêter pour un verre, et pour moi de dire au revoir à la course.
À moins que je ne continue jusqu’au Château Lafite Rothschild, au vingt-cinquième ? Tout le long du parcours, c’est bonne humeur et encouragements. Dans un village, une mamy a installé sa chaîne hi-fi sur l’appui de fenêtre. Des coureurs déguisés en « Super Français », béret noir, singlet blanc, cape de super-héros et baguette sous le bras, trimballent une pancarte Pain is Just A French Word for Bread. Je n’ai vraiment pas envie de quitter cette fête. Après une halte de quelques minutes à Grand-Puy Lacoste, je reprends la course pour quelques kilomètres de plus.

Après deux heures de course – crédit : Maindru Photo
« Abandon »
Le parcours emprunte maintenant des chemins de graves, parfois rendus boueux par la pluie des jours précédents. C’est un peu plus vallonné, je commence à avoir mal au genou, ma foulée a perdu de sa souplesse et le rythme s’en ressent. Arrivé à Lafite Rothschild, je me dis que c’est un bel endroit pour conclure ma course. J’informe Charles, que je suivais depuis la sortie de Grand-Puy Lacoste, de mon abandon. Puis je fais demi-tour pour rejoindre en marchant la route vers Pauillac.
Je remonte le peloton à contre-sens et prends le temps d’observer les coureurs. Un groupe aviné se rafraîchit dans l’étang de la prestigieuse propriété. Un runner disco en pattes d’éph’ fluos se vide l’estomac par larges gerbes au pied d’un arbre soigneusement taillé. Le Médoc, côté pile.
Je ne suis pas si mal. Déjà, les regrets m’assaillent. Vous devinez la suite … Quand je croise Juan et Jean-Elie, je leur propose de repartir ensemble. Dix-huit minutes après mon « abandon », je suis de nouveau en course.
Le marathon le plus long
Mes compagnons souffrent et, très vite, je suis seul. Cos Labory, Lilian Ladouys, la route des vins se poursuit. Nous sommes maintenant dans appellation Saint-Estèphe. J’alterne bientôt course et marche. Ce n’est pas tellement le genou, mais plutôt les douleurs musculaires auxquelles s’attendre après plus de trois heures d’effort et une préparation insuffisante.
Adossé au porche d’un château, un marathonien joue de la guitare électrique. Il court avec sa guitare en bandoulière, il porte son mini-ampli, et manifestement il va vite. En effet, une fois son récital terminé, il me redépasse rapidement.
À l’approche du trentième kilomètre, alors que nous courons au beau milieu des vignes, une ondée vient rafraîchir le peloton. Beaucoup s’arrêtent pour s’abriter. Cela me donne plutôt un coup de fouet. Ce regain d’énergie me porte jusqu’au Château Phélan Ségur, point extrême du parcours. Il reste sept kilomètres.
Le Château Montrose est le dernier visité par le marathon. Tandis que certains succombent à la tentation d’un sandwich jambon-fromage, j’y tente un ravito inédit : du cola. Ce n’est pas tout à fait recommandé (voir : « Le Coca-Cola en course : bien ou pas bien« ), mais c’est tellement bon pour le moral.
Une balade gourmande pour oublier le mur
Le Marathon du Médoc se termine par une longue ligne droite d’environ quatre kilomètres, le long de la Gironde. Les organisateurs y ont disposé les ravitaillements les plus attendus. Huîtres, que j’évite. Entrecôtes cuites sur braises et soigneusement débitées en petits cubes par les bénévoles, je mâchouille un bout. Maïs grillé, un épi bien vite nettoyé. Ces petits plaisirs jalonnent la finale et aident à surmonter la douleur.
Flamme rouge. Alors que je termine de déguster un esquimau, j’aperçois Charles et Bourgui quelques dizaines de mètres devant moi. Je puise dans mes dernières ressources pour hausser la cadence et les rattraper (ah, le mental) et nous franchissons la ligne à trois. 05h38 à l’horloge, 05h29 depuis que nous avons foulé le tapis de départ.

Libérés, délivrés – crédit : Maindru Photo
Finishers
Nous recevons la médaille, en forme de guitare, pour rester dans le thème. Et les autres cadeaux réservés aux finishers : un sac de sport et une caisse en bois contenant une bouteille de vin du Médoc. Celle dont je vous parlais au début de cet article. Château Patache d’Aux pour ma part.
La pluie arrive. La tentation est grande de se réfugier dans la tente buvette où rillettes et bière du bassin d’Arcachon sont offertes aux marathoniens. Mais nous préférons attendre Juan et Jean-Elie. Travail et vie de famille ne leur ont pas permis de se préparer comme ils l’auraient souhaité. Ils terminent dix minutes devant l’équipe des coureurs-balais, dont la mission est de passer la ligne pile dans les délais (6h30).
Un premier marathon pour mes compagnons de route du jour, un troisième pour moi, une vraie épreuve pour tous. Le Médoc a beau être festif, différent, il n’y a pas de marathon facile.
Je reviendrai
En fin d’après-midi, de retour à la villa, je plonge mes jambes endolories dans l’eau fraîche de la piscine. Vouloir terminer un marathon en ayant couru seulement cent kilomètres au cours des trois derniers mois relève de l’irrévérence, pour ne pas dire de l’inconscience. J’ai la chance de ne pas m’être blessé. J’ai tout de même laissé dans la bataille les forces qui auraient été bien utiles pour reprendre un entraînement structuré. Cinquante jours plus tard, je ne participerai finalement pas au Marathon de Francfort, qui était l’objectif de l’automne.
Pourtant, je ne regrette rien. Le Marathon du Médoc est une expérience à part dans une vie de coureur. Le parcours est unique, l’organisation de qualité. Il en faut du travail en coulisses pour pouvoir lâcher un troupeau de coureurs insouciants au cœur de vignes à 1.500.000 euros l’hectare (source : le-prix-des-terres.fr).
Je retournerai dans le Médoc. Et si ce n’est pas pour le marathon (prochaine édition le 8 septembre 2018), ce sera pour la randonnée VTT La Médocaine et ses parcours de 20 à 80 kilomètres !
Jonathan Quique © RUNNINGGEEK.BE 2017
Superbe récit… Bravo…😉
Merci pour ce récit. Ca me rappelle ma participation en…1993 🙂
Merci de m’avoir lu et bravo pour votre longévité, j’espère pouvoir en dire autant en 2042 😉
Magnifique le récit 😃 j’ai adoré le lire.
Merci Hervé, au plaisir !