Morts sur le Mont Blanc : la faute à Kilian Jornet ?

La neige en deuil. Huit personnes ont trouvé la mort sur les pentes du Mont Blanc depuis le début du mois d’août. À deux reprises, les victimes sont des coureurs en simple tenue de trail. À plus de quatre mille mètres d’altitude. Le patron du peloton de gendarmerie de haute montagne de Chamonix pointe le mauvais exemple donné par Kilian Jornet, qui au début de l’été fait le buzz en se filmant au sommet en short et t-shirt manches courtes. Une attitude irresponsable de la part du Catalan ? Développement.

Le 15 août, alors que plusieurs alpinistes ont déjà perdu la vie au cours des jours précédents, un traileur lyonnais âgé de 46 ans s’élance à l’assaut du Mont Blanc. Seul, avec une veste légère, un collant, des chaussures de trail et une paire de bâtons pour seul équipement.

Son épouse, n’ayant reçu aucune nouvelle, lance l’alerte le soir-même. Les gendarmes mettront deux jours pour retrouver son corps, au fond d’une crevasse profonde de 25 mètres.

Le Maire de Saint-Gervais, commune sur le territoire de laquelle se trouve la voie royale vers le sommet du Mont Blanc (75% des ascensions) prend au lendemain de la disparition un arrêté pour imposer un équipement minimum : « Bonnet, lunettes de soleil, masque de ski, veste chaude, gore tex (coupe-vent imperméable), chaussures d’alpinisme, crampons réglés aux chaussures, baudrier et kit de sortie de crevasse, piolet, corde. » Un cri d’alarme, un coup de gueule pour rappeler que la haute montagne, c’est progresser sur des glaciers, s’exposer aux changements brusques de météo, aux chutes de pierres et risquer à tout moment la chute dans une crevasse.

Kilian Jornet répond par tweet interposé, tout nu au sommet. Rigolard, il précise tout de même « C’est pas le matériel [qui compte] mais la connaissance sur l’utilisation de celui-ci et l’expérience de chacun … »

« Bref, si on grimpe coté italien c’est legal ? » – @kilianj sur Twitter

En effet, la mesure est surtout symbolique : Saint-Gervais compte trois policiers municipaux et ceux-ci ne sont pas entraînés pour intervenir en altitude. La haute montagne est le domaine des gendarmes, qui répondent du ministère de l’Intérieur.

Justement, Stéphane Bozon, lieutenant-colonel de la gendarmerie de haute montagne de Chamonix, à la tête des opérations de sauvetage et de recherche des personnes disparues, ne goûte guère les pitreries de Jornet.

Les trailers montent de plus en plus en altitude. Mais le couloir du Goûter, c’est de l’al-pi-nis-me. Point ! L’effet Jornet, en voilà le résultat : un dévissage dans une pente glaciaire et, au bout, un mort. C’est le phénomène médiatique autour du trail en haute montagne. Courir sur les sentiers, ça n’a rien à voir avec grimper en haute montagne !

Kilian Jornet en short et T-shirt au sommet – capture d’écran d’une vidéo publiée le 21 juin sur Facebook

Le matin du 24 août, Matthieu Craff, un jeune traileur breton qui prépare la Diagonale des Fous, arrive au sommet du Mont Blanc. Dans la descente, il croise un groupe de randonneurs et s’écarte de la trace de quelques centimètres pour les laisser passer. Ecart fatal, Matthieu chute de 300 mètres.

Dans une publication Facebook, Jean-Paul Craff rappelle qui était son fils :

Il était un guerrier, judoka ceinture noire, boxeur et diplômé d’état d’enseignement de la boxe (…) 4ème du chalenge Ultra Mountain National Tour créé par Antoine Guillon, 1er grimpeur du Maido lors de sa 3ème place ex-aequo avec le GRAND Renaud Rouanet du trail Bourbon de la Réunion. 3ème de l’Ultra di Corsica, 2ème du Mahoraid, etc.

Le danger, la fragilité du fil de la vie, Matthieu en avait conscience : pompier volontaire, il y était confronté régulièrement.

Et d’évoquer la fatalité qui touche aussi les alpinistes chevronnés, les guides de montagne et les marins bretons.

Il ne s’agit pas de polémiquer sur l’hommage d’un papa. Mais Matthieu, qui « était tombé amoureux de la montagne après avoir participé à la TDS et à la CCC [Sur les Traces des Ducs de Savoie et Courmayeur-Champex-Chamonix, deux courses de plus de 100km autour du Mont Blanc] où il avait réalisé une belle perf », était parti seul, en tenue de trail, à l’assaut du toit de l’Europe. Alors que les conditions, en particulier la neige vitrifiée, rendaient ces jours-là l’ascension plus risquée que jamais et réservée aux seuls alpiniste chevronnés.

Pointé du doigt, Kilian Jornet, s’exprime. Avec sérieux cette fois-ci. Dans une vidéo postée sur Facebook, il expose ses safety tips (conseils de sécurité). Il explique que chaque sortie se décide après avoir fait le bilan sur ses capacités et les conditions. Une fois sur deux, il renonce.

Il rappelle qu’en haute montagne, une bonne condition physique ne suffit pas. Elle n’est qu’un ‘plus’, un adjuvant utile à la maîtrise technique et à la connaissance du milieu, qui s’acquièrent après des années de pratique et de formation.

Kilian Jornet, c’est une vie entière dédiée à la montagne. Il s’initie dès le plus jeune âge avec son père, guide et gardien de refuge. Il parcourt avec ses parents les Pyrénées, les Alpes, la Corse et même les Andes. Il gravit son premier 4.000 mètres à l’âge de six ans. Plus tard, il se consacre pleinement au ski et à l’alpinisme, apprend au contact de ses entraîneurs et d’alpinistes plus expérimentés.

Kilian Jornet, ici avec sa soeur Naila, a grandi sur la montagne – @kilianj sur Twitter

En 2008, Kilian Jornet devient à l’âge de 20 ans le recordman de l’Ultra-Trail du Mont-Blanc. Cette victoire, qui marque le début de sa notoriété auprès du grand public, n’a pourtant pas grand chose à voir avec l’ascension du Mont Blanc, dont il battra le record quatre ans plus tard.

Terminer l’UTMB, 171 kilomètres et 10.000 mètres de dénivelé positif, est certes une performance athlétique remarquable mais elle ne constitue en aucun cas une préparation valable à la haute montagne. La course culmine à 2.565 mètres (Col des Pyramides calcaires) et emprunte à 90% des itinéraires de Grande Randonnée. Dans la classification des trails proposée par Kilian Jornet en fonction de l’expérience de la montagne requise (voir notre article de 2015), l’UTMB reçoit une note de difficulté de 2 sur une échelle de 5.

Alors, coupable Jornet ? Autant que Sébastien Loeb quand monsieur Tout-le-monde tente de l’imiter. Les messages de prévention que Kilian Jornet adresse à ses fans sont malheureusement bien moins médiatisés que ses exploits funambules.

Il existe, pour les candidats à l’ascension du Mont Blanc, des stages pour relever le défi dans les meilleures conditions. J’invite ceux qui seraient tenté par l’aventure à lire ce récit, signé Julien Libert (blog Les Sentiers du Phoenix).

Jonathan Quique © RUNNINGGEEK.BE 2017

Références

Le Mont-Blanc en baskets, c’est terminé ! (L’Equipe)

Un effet « Kilian Jornet » en haute montagne ? (L’Equipe)

Trailer mort sur le mont Blanc : le PGHM furieux de “l’effet Jornet” (Lyon Capitale)

Haute-Savoie : un coureur sans équipement se tue sur le Mont-Blanc (Le Figaro)

Accidents mortels sur le Mont Blanc: « Il faut siffler la fin de la récréation » (L’Express)

Mont-Blanc : attention au phénomène de « neige vitrifiée » (France Bleu)

Le Mont-Blanc, symbole d’une haute haute-montagne trop souvent pris à la légère (France Info)

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