Mon récit du Marathon de New York

Dimanche 6 novembre 2016, le jour J. J’ouvre les yeux à 4h30, plutôt content d’avoir pu dormir si ‘tard’. Pour mon horloge interne, c’est déjà le milieu de la matinée.

J’avale mon petit déjeuner habituel, une banane et un bol de muesli mélangé à du yaourt aux myrtilles. Un dernier contrôle de mon équipement et c’est parti. Métro ligne jaune à Prince Street, à un bloc de l’appartement AirBnb.

La station est déserte, hormis quelques coureurs. Je suis le plus chaudement vêtu avec mon grand poncho de pluie par dessus un vieux hoodie et un pantalon de training trop large depuis longtemps. Les autres se sont, au plus, contentés d’un sac poubelle pour compléter leur tenue de course.

Whitehall Station, jetée du Staten Island Ferry, tout le monde descend. Il est à peine six heures et la foule des coureurs est déjà impressionnante. La présence policière aussi. Un vigile dirige son chien renifleur vers mon poncho. L’animal m’ignore, je peux embarquer.

Le jour se lève sur la baie de Manhattan et la vue depuis le pont inférieur du ferry nous donne un avant-goût du départ. Une vedette du New York Police Department nous escorte. Passage près de la statue de la Liberté, les coureurs se pressent aux fenêtres, chacun veut sa photo.

Arrivée sur Staten Island après 25 minutes de traversée, nous devons maintenant faire la file en dehors du terminal pour prendre un des bus vers Fort Wadsworth, site du départ. La brise soulève mon poncho que je finis par retirer. Il fait frais mais pas froid. L’organisation est bien huilée, l’attente raisonnable. Je prends place dans le bus, ça parle italien devant et derrière. L’Italie est la nation étrangère la plus représentée sur le marathon.

Fouille des coureurs et des sacs à la descente du bus. Open your legs, turn around, le policier assigné à ma fouille a un accent à couper au couteau, je dois lui demander de répéter. Le dispositif de sécurité à l’entrée de Fort Wadsworth est ostentatoire, avec véhicules et blocs de béton en travers des voies transversales, officiers à cheval et robocops armés de fusils d’assaut.

L’ancienne caserne militaire d’où part la course est divisée en trois parties, correspondant aux lignes de départ bleue, orange et verte. Pendant que je me dirige vers le village orange, des photographes nous proposent déjà de prendre la pose, dossard bien visible.

Il y a foule autour des tentes du petit déjeuner, mais les Américains voient les choses en grand. Des dizaines de bénévoles sont en poste pour distribuer bagels (bons), café (nettement moins bon), boissons et barres énergétiques, bonnets aux couleurs d’un sponsor, …

Le soleil brille, je trouve un coin de terrain libre et bien exposé pour m’installer confortablement et prendre la deuxième partie de mon petit déjeuner. Une heure et demie s’est écoulée depuis mon départ en métro. Je cours dans deux heures.

Le réseau de données mobile sature déjà et il n’y a pas grand chose pour meubler l’attente, hormis lézarder et attendre son tour devant les toilettes sèches. Ce faisant, j’imite la plupart des coureurs.

Les hauts-parleurs annoncent l’ouverture puis la fermeture des corrals pour la première vague. Je me débarrasse de mes vêtements du matin dans un des containers mis à disposition par des associations et me dirige vers mon corral, bien dans les temps me dis-je. C’est sans compter l’immensité du site, comparable à celui d’un festival comme Rock Werchter. J’entre dans le sas A juste avant la fermeture.

Un grand boum retentit. Les européens sursautent, les américains applaudissent. Il est 9h50, la première vague vient de s’élancer.

Notre sas s’ouvre quelques instants après, nous avançons lentement vers le pont Verrazano-Narrows sous le regard des agents du SWAT (forces d’intervention de la police). Des cadets de l’armée nous saluent.

Nous voilà rangés derrière la ligne de départ. Les hauts-parleurs diffusent du gros son. Je regarde les coureurs qui m’entourent, espérant peut-être trouver mon lièvre des premiers kilomètres. Un policier bien affuté dans son singlet du NYPD Running Club, un couple de jeunes suédois, un sikh enturbané d’un certain âge. Il me fait penser à Fauja Singh, le centenaire marathonien, et je me dis que j’ai trouvé le meneur d’allure idéal pour ne pas me griller sur les premiers 1.300 mètres, qui constituent la plus importante côte du parcours.

L’hymne américain retentit et c’est parti. La pente du pont s’élève nettement dès les premiers mètres, je pars lentement, à petits pas mesurés et sans quitter ma ligne. Des coureurs me dépassent de toutes parts mais je reste zen, je les dépasserai plus tard. Et puis, surtout, il y a ce moment à savourer.

Un essaim d’hélicoptères bourdonne autour du pont. Deux-cent mètres plus bas sur les eaux de la baie de New York, la vedette des pompiers est à la parade, tous jets dehors. Le soleil miroite sur les gratte-ciels du Financial District. Waow.

Je dis au revoir à « Fauja Singh » avant de basculer en haut du pont et, déjà, je dépasse beaucoup de coureurs partis à toute vitesse.

Entrée dans Brooklyn et rencontre avec la foule bigarrée des New-Yorkais. Une masse compacte, joyeuse et bruyante qui ne nous quittera qu’à de rares moments jusqu’à l’arrivée. Sur le bord de la route : habitants du quartier, hipsters ou femmes en hijab, pompiers en bretelles, supporters brandissant au bout d’une perche la tête géante (cartonnée) de leur coureur favori, pancartes donneuses de super-pouvoirs, … Un groupe de sexagénaires en blousons de cuir entonne un standard du rock tonitruant dont le titre m’échappe maintenant. Ambiance au top.

Nous empruntons la 4th Avenue, une longue ligne droite jusqu’au huitième Mile, l’endroit où les trois lignes bleue, orange et verte se rejoignent. Le moment de me concentrer sur la course. Je regarde la montre et constate que la cadence adoptée aux sensations correspond pile-poil à 5:15 au kilomètre, mon allure-cible pour ce marathon. Parfait.

Le huitième Mile est aussi l’endroit où j’ai donné rendez-vous à Catherine, une de mes supportrices sur place. J’ai le regard attiré par un groupe de spectateurs belges posté à gauche du parcours, drapeau et fourches gonflables noir-jaune-rouge. Catherine est quelques mètres plus loin et peut immortaliser mon passage. Coup de bol car la foule se fait très, très dense !

La traversée de Brooklyn est roulante, sans être plate. Le parcours emprunte de longues avenues, avec parfois un virage à angle droit. Je maintiens le rythme tout en gardant une complète aisance respiratoire. Je veille à m’alimenter et boire quelques gorgées d’eau à chaque ravitaillement.

Les bénévoles qui nous tendent les gobelets à chaque ravito sont protégés par un grand poncho imperméable. Vu le peu de délicatesse avec laquelle certains attrapent leur boisson, je comprends cette précaution. J’essaie de dire Thank you à chaque fois. Sans cette armée de volontaires, pas de marathon.

Changement de décor sur Bedford Avenue. Le quartier héberge une importante communauté juive hassidique : dans le public, désormais clairsemé, les messieurs sont tout de noir vêtus, papillotes et grand chapeau, les dames portent une longue jupe et sont souvent entourées d’une nuée d’enfants. La quiétude des lieux y est sans doute pour quelque chose, je constate sur Strava que j’ai ralenti d’une vingtaine de secondes par kilomètre sur ce tronçon.

Je franchis la barre du semi sans un regard pour le chrono. Tout va bien. Passage express dans le Queens avant d’attaquer la première difficulté du parcours, le pont de Queensboro.

Le pont qui relie Long Island City à Manhattan s’élève sur 1.200 mètres à 3% de moyenne. J’en ai vu d’autres, mais nous courons depuis 24 kilomètres. J’attaque la côte en souplesse. L’absence de spectateurs me permet de constater que le silence règne dans le peloton. La fille au short pêche qui me servait tacitement de lièvre (ou  peut-être est-ce l’inverse) depuis le troisième Mile a disparu des radars. Pour garder le rythme dans l’ascension, je décide de me fier à l’expérience de Mario, un italien coiffé de la couronne de la statue de la Liberté.

Entrée dans Manhattan sur la 1st Avenue. On m’a prévenu : la clameur est immense et il est encore trop tôt pour se laisser emporter par la foule. Toutefois, la chaussée est très large, et comme je cours depuis le départ sur la ligne bleue matérialisant la trajectoire idéale, je suis en plein milieu de la route, assez loin du public. Apparemment, j’échappe même au live tracking, suscitant une brève inquiétude chez ceux qui me suivent depuis la Belgique.

Heureusement tout va bien et je franchis la marque du 30ème kilomètre sans ressentir de signe annonciateur du mur. Youhouh ! Ce n’est cependant pas le moment de succomber à l’euphorie. Nous traversons East Harlem et de plus en plus de coureurs marchent ou s’arrêtent sur le côté de la route pour procéder à des étirements. Le public se fait plus rare et je ralentis un peu.

Nous nous dirigeons vers le Bronx et … That Awkward Moment [ce moment embarrassant]. Avant le départ, j’ai ouvert l’emballage des trois barres énergétiques Clif Bar emportées pour la course sans prêter attention à l’ordre dans lequel je les mangerai. J’entame la dernière, celle aux noix de pécan. Mauvaise idée. Un petit bout de noix se loge dans ma gorge et je recrache en gerbe mon ravitaillement solide et liquide sur le coureur à mes côtés. Sorry, enfin, pardon, puisque je reconnais le maillot fourni par un tour opérateur aux participants français. Ma victime ne s’en formalise pas, sans doute trop concentrée ou trop fatiguée pour répondre.

Nous revenons sur l’île de Manhattan. Je m’époussette et me redresse pour faire bonne figure auprès de la team de supporters qui m’attend sur la 5th Avenue. Croisement avec la 111th Street, tout au Nord de Central Park, ils sont là ! Valérie court quelques instants à mes côtés.

Je suis maintenant au pied d’un des derniers pièges du parcours, 1.300 mètres à 2,7% de moyenne. Galvanisé par les encouragements de ma petite troupe, je maintiens le cap malgré les jambes qui se font lourdes. Mario accuse le coup dans la côte, ciao. Entrée dans Central Park et je sais que le plus dur est fait.

Je ne suis plus vraiment capable d’accélérer, mais j’arrive à ne pas trop ralentir sur les buttes du parc. Je dépasse du monde. Parfois, une odeur âcre. Des coureurs, sans doute épuisés ou ne voulant pas perdre de temps au porta potty se sont fait pipi dessus …

Columbus Circle et la Trump International Hotel and Tower, dernier virage avant la ligne d’arrivée. Je reconnais, au sprint, une petite coureuse aperçue au départ, encore vêtue du bonnet Dunkin’ Donuts offert à Fort Wadsworth. J’essaie de lui emboîter le pas mais she’s pushing hard to the finish. Je n’insiste pas. La ligne est là.

Bip. Pour la première fois depuis des Miles, je regarde la montre. Je suis content de passer sous la barre symbolique des 4 heures dans de si bonnes conditions.

La grosse médaille nous est passée au cou. Je repense au récit de Nadia runs Paris, qui soulignait le poids de la breloque. Bien sûr, l’organisation a une nouvelle fois tout prévu, avec ce qu’il faut de photographes pour immortaliser nos mines mi-épuisées, mi-satisfaites.

S’ensuit une longue marche jusqu’à la sortie du parc. Les jambes se font cruellement sentir. Des volontaires revêtus d’une chasuble de la Croix Rouge sont là pour repérer les marathoniens nécessitant une assistance médicale. Je suis bien tenté de m’asseoir sur une des chaises roulantes, tellement j’ai mal aux jambes, mais je sais que la récupération commence par ce retour au calme forcé. Un gentil papy me passe le poncho du finisher et je quitte enfin Central Park.

Les moments qui suivent m’appartiennent. Je tiens simplement à remercier tous ceux qui m’ont soutenu, suivi, encouragé. C’est ça aussi, la magie de New York.

Jonathan Quique ©RunningGeek.be 2016

5 réflexions sur “Mon récit du Marathon de New York

Laisser un commentaire