Tina, marathonienne tenace

Nous ouvrons aujourd’hui nos pages à Peter De Groof, blogueur belge néerlandophone. Sur son blog peterdegroof.com, Peter partage ses expériences de marathonien, ses réflexions sur la course à pied et sur l’entrepreneuriat social (il est directeur opérationnel d’une ONG flamande de lutte contre le cancer). Le billet ci-dessous est le portrait de Tina Desmaele, une blogueuse néerlandaise dont l’histoire a touché Peter. Il lui tenait à cœur que cet article soit publié en français.

Tina DesmaeleJ’ai récemment lu le blog de Tina. Une expérience plutôt bouleversante. Wow. Quelle dame coriace. Je vous conseille vivement de lire son blog, ça en vaut vraiment la peine. Une personne est bien plus que sa maladie. Mais la « rétinite pigmentaire » est une affection des yeux qui pèse lourdement sur la vie.

Le chapitre « traitement » de Wikipedia est malheureusement court et éloquent à ce sujet :

« Maladie génétique, elle est jusqu’à aujourd’hui incurable »

Tina est brève à ce sujet :

« J’ai déjà beaucoup de chance de ne pas encore être aveugle, mais ce n’est probablement que partie remise. J’espère en tout cas que l’inévitable ne surviendra pas avant une vingtaine d’années : d’ici là, je compte bien avoir vu tout ce qu’il y avait à voir »

Dans cette perspective, elle avait peut-être toutes les raisons de bouder dans son coin et de simplement abandonner.

Mais c’est mal la connaître.

Revenons en arrière : à l’école, Tina était en Sport-Sciences, la partie sport lui plaisait beaucoup, la partie sciences un peu moins. Ensuite et, lorsqu’on voit les photos de Tina, on comprend pourquoi, elle a eu l’occasion de travailler comme mannequin. Tina était photogénique, mais la passion lui faisait malheureusement défaut : passer des journées entières à soigner son physique, ça ne marchait pas pour Tina.

Le prochain arrêt sur sa route était un job dans l’horeca (l’amour… !), et c’était une période difficile. Une période trop arrosée aussi. Tina s’est fait admettre en désintox. Elle est alors allée aux AA, et depuis 1996, elle est restée sobre. Au mois d’août, Tina organisera une fête pour ses amis : il y aura alors 20 ans que Tina a battu le démon de l’alcool !

En fait, la vie de Tina ne se lit pas comme un blog, mais comme un roman. Elle a travaillé sur des navires de croisière, a vu plus du monde que nous l’avons fait à nous deux, mais au carré.

Courir est devenu un passe-temps. Et soudain, Tina s’est mise à faire de la course à pied d’endurance, pas dans le parc de Tervuren, mais au Groenland parmi les eskimos, en Islande sur des glaciers, sur les Iles Féroé, sur l’île de Mykonos, … Librement en sans scrupules.

Mais vous vous demandez entretemps sans doute : « C’est qui en fait cette Tina ? » Eh bien, laissons lui la parole … :

« Je vis par intuition. Pour moi, mes sentiments sont importants. Je suis souvent mon intuition et ne suis pas du genre à suivre le troupeau. Avide d’apprendre. Pas une optimiste, mais pas un prophète de malheur non plus. Plutôt discrète et réservée. Je suis souvent sur la touche, et c’est bien ainsi, je laisse les grandes discussions à d’autres. J’observe et j’écoute. J’aime mon indépendance, ma joyeuse liberté. J’oserais dire que je suis peut-être bien une ‘solitaire’ »

De retour après ses voyages, Tina se fait de nouveaux amis. Et c’est beau l’amitié. Le week-end, ils courent dans le bois, ensuite, ils prennent un verre ensemble et passent un bon moment, et la conversation porte alors rapidement sur le prochain marathon au programme. Vous voyez déjà ce qu’il s’est passé : ils ont convaincu Tina de courir « une fois » un marathon.

Tina De SmaeleEn 2005, le jour était venu. Le marathon de Madrid. Tina y a alors pris goût et a couru encore toute une série d’autres marathons.

Le marathon numéro quatre était spécial. C’était à Beyrouth, au Liban. Impressionnant. Après quelques kilomètres déjà : des larmes. Toutes ces impressions : quartiers huppés, extrême pauvreté, immeubles détruits, militaires armés, tanks, une véritable zone de guerre. Le tout combiné avec une chaleur intense et le smog. Vous comprendrez, mesdames et messieurs, ce n’était pas les 10 Miles d’Anvers, où la seule chose qu’il faut craindre, c’est la présence encombrante de politiciens connus. Beyrouth, c’était une expérience spéciale, qu’on garde pour la Vie. Bien plus qu’un marathon.

Tina a appris de dures leçons dans l’épreuve du marathon. A Rotterdam en 2011 par ex. : trop d’orgueil, d’excellentes jambes. Partie à bride abattue, beaucoup trop vite en fait. Conséquence prévisible dans le marathon : une rencontre indésirable avec l’homme au marteau [N.d.E. en néerlandais : de man met de hamer, joli équivalent du mur en français].

Entretemps, Tina continuait à aller de l’avant. Elle a obtenu un diplôme (Administration de bureau et gestion de données) devant le jury central, en combinaison avec en boulot en équipes. Ensuite, elle a suivi une formation de bibliothécaire, qui fut également accomplie avec succès.

En 2015, Tina courait son septième marathon. Le premier avec un accompagnateur. Courir seule dans la foule, ça n’allait plus : trop de stress, trop difficile, trop dangereux. Se rendre à l’évidence. Et continuer.

Budapest, marathon à dimension particulière, retrouvailles heureuses avec la cousine qui y habite et avec Krisztian, un ancien collègue du temps des navires de croisière. Marathon terminé en 4h32, joli. Spéciale, la première expérience avec un compagnon de course.

Suivra alors la course Dwars door Brugge : l’accompagnatrice de Tina, une amie chère, a le cancer du sein et suit une chimiothérapie. Tina veut courir avec elle pour la soutenir, et elle doit aider Tina. « Un duo impressionnant » dit laconiquement Tina. La première chose qui me vient à l’esprit : tout mon respect, Tina. Et beaucoup de courage à ta copine …

Qu’en est-il ensuite du prochain marathon ? Flanders Fields à Ypres, peut-être ? Un peu terne, on ne trouvera pas dans le Westhoek un million de spectateurs, comme ce serait le cas à Londres. Mais la course en solitaire, ça lui plaît, Tina, elle aime l’histoire, l’histoire de la Première Guerre Mondiale aussi. Je peux le confirmer. Ypres : un de mes plus mauvais temps, mais quelle expérience particulière de courir là-bas, dans les Flanders Fields

Flanders Fields offre un cadre unique. Mais quel est alors le rêve ultime de tout marathonien ? En bref : New York. Deux fois déjà, elle a participé à la loterie, et deux fois elle n’a pas eu de chance. Elle réessayera l’année prochaine. Continuer à rêver, continuer à essayer.

Entretemps, Tina continue courageusement à écrire. Écrire, une autre passion. Le rêve secret de Tina est de se lancer là-dedans. Nous voilà donc deux. Personne d’autre ? En 2013, Tina a osé franchir le pas : écrire un petit texte et le poster sur WordPress. Un petit pas pour l’humanité, mais un très grand pas pour Tina. Un ami journaliste lui a fait un commentaire inspirant :

« Si tu venais postuler chez nous avec ce petit texte, jamais de la vie ! »

Voilà. Au cas où vous vous demandiez pourquoi les journaux et les magazines vont si mal, maintenant, vous le savez.

Tina ne dira jamais que son texte est bon. Nous avons donc affaire à une perfectionniste qui manque un peu de confiance. Quand Tina écrit un article, elle prend facilement quelques jours pour le faire. C’est parfois bizarre combien de temps une seule phrase prend. La perfectionniste : « J’ai si peur d’échouer ». Quel plaisir pour Tina de lire les commentaires qu’elle reçoit sur son blog (un bon tuyau !). Cela lui donne le courage de continuer.

Que les choses soient claires : Tina continue à chercher et à relever des défis, à repousser les limites.

Son rêve dans la vie ? Ecrire un livre peut-être. Nous verrons bien.

Tina fait son numéro, à sa façon. Mesdames & messieurs, arrêtez les foutaises, roulez la bille !

Je trouve que Tina est une marathonienne tenace.

All the best, Tina !

Bien cordialement,

Peter

Peter De Groof ©RunningGeek.be 2016

Laisser un commentaire